A la mémoires des habitants de Châtillon sur Seine

Communication de l’association dijonnaise Mémoire(s) Vive(s) à l’occasion de l’inauguration d’une plaque commémorative qui porte les noms de douze personnes ayant vécu à Châtillon-sur-Seine, victimes de la Shoah - Châtillon, le 24 avril 2011.


Châtillon-sur-Seine est une ville de notre département qui a été particulièrement touchée par la Shoah.

En juillet 1942, la police française a participé à une rafle d’une importance jusque-là inconnue. Cette opération a conduit à l’arrestation de plus de 13 000 personnes. La rafle dite du Vél’ d’Hiv’, les 16 et 17 juillet 1942 à Paris, prenait pour cible les Juifs étrangers et apatrides, les forces de police se sont servi d’un fichier recensant les Juifs, établi par les services de Vichy, deux ans auparavant.

En province, cette même rafle était orchestrée plusieurs jours plus tôt qu’à Paris. En Côte d’Or, ce sont les 13 et 14 juillet que s’est déroulée l’arrestation de plus de vingt personnes. Parmi eux, Erna Kahn, qui habitait à Châtillon-sur-Seine.

Le 13 juillet 1942 à sept heures du matin, deux gendarmes français se sont présentés au foyer de la famille Kahn avec l’ordre d’arrêter Madame Kahn[1].

Erna Israël Kahn était née en 1901 à Koenigsmacker, une commune de Moselle alors annexée à l’Allemagne de Guillaume II. Elle s’est mariée à Benjamin Kahn, un Luxembourgeois de dix ans son aîné, et le couple a eu une petite fille, Marguerite, née à Ettelbruck au Luxembourg en 1928[2].

Depuis 1930, la famille Kahn résidait en Moselle, dans le village natal d’Erna, redevenu français en 1918.

Dès le début / de la Seconde Guerre mondiale, le gouvernement français a fait évacuer les populations civiles des communes situées entre la ligne Maginot et la frontière allemande, car elles risquaient de se trouver dans la zone des combats.
C’est ainsi que la famille Kahn, parmi les habitants de Koenigsmacker, a été évacuée, élisant provisoirement domicile 10 rue Pasteur, à Châtillon-sur-Seine ; une commune où ils vont demeurer, l’annexion de la Moselle, en juin 1940, par le Reich ayant rendu impossible le retour d’une famille juive en Allemagne nazie.

Le 15 juillet 1942, madame Kahn se trouve parmi 21 Juifs raflés en Côte d’Or qui seront, après une brève détention à la Mairie de Dijon, transférés en train vers le camp d’internement de Pithiviers, dans le Loiret.
Le 20 juillet 1942, sa fille, Marguerite Kahn âgée de 13 ans, écrit au maréchal Pétain en personne et le prie de l’aider. « Je viens d’apprendre l’affreuse nouvelle qu’elle est maintenant déportée en Pologne »[3]. Le 17 juillet au matin, sa mère avait été déportée à Auschwitz-Birkenau par un train de déportation, aujourd’hui connu sous le nom de ‘Convoi n°6’ qui transportait 928 personnes, 809 hommes et 119 femmes[4]. C’était le premier convoi de déportation transportant des femmes et enfants. « Je pense qu’en m’adressant à votre bonté », écrit Margot Kahn, « vous pourriez, Monsieur le Maréchal, faire rentrer maman chérie dans notre foyer en détresse ».
Cette démarche est soutenue par les enseignants du collège de Margot : la lettre de la jeune fille est transmise au Préfet de Région accompagnée d’une lettre de sa directrice d’école et de l’inspectrice d’académie qui souhaite ainsi ne pas trahir « la confiance et l’espoir d’une petite fille dans la puissante bonté de notre Chef »[5]. Margot ne reçut pas de réponse. Erna Kahn a été assassinée le 19 juillet, dès son arrivée à Auschwitz.
La ‘réponse’ à sa lettre, Margot la trouvera le 9 octobre 1942, jour de son arrestation et de celle de son père Benjamin par la gendarmerie[6]. Tous deux sont déportés le 11 novembre 1942, par le convoi n° 45 et seront, eux aussi, assassinés.
En effet, depuis l’été 1942, les arrestations ne concernaient plus seulement les Juifs étrangers, mais également les Juifs français.

Le 28 octobre 1943, la gendarmerie a également procédé à Châtillon, à l’arrestation d’une autre famille[7] : Sonia et Rubin Blatt, respectivement nés en 1893 et 1894.
Le couple, d’origine polonaise, s’était installé à Châtillon à la fin des années 1920 avec ses deux enfants, Eugène et Marguerite, nés en 1923 et 1926 à Nancy.
Leur troisième enfant, Jean, est né à Châtillon en 1929.
En 1930, les époux Blatt obtenaient la nationalité française. Rubin Blatt travaillait comme ouvrier du bâtiment.
Lorsque la gendarmerie est venue arrêter la famille, le plus jeune des enfants était apprenti menuisier, et sa sœur Marguerite poursuivait ses études.
L’aîné, Eugène, qui réussit à échapper à son arrestation, se cachera jusqu’à la fin de la guerre. Sonia et Rubin Blatt et leurs deux jeunes enfants, ont été transférés à Drancy[8], le grand camp en banlieue parisienne où étaient internés les Juifs raflés de toute la France, avant leur déportation vers Auschwitz. Les Blatt y seront détenus durant presque un mois, en l’attente de leur déportation, le 20 novembre 1943 par le convoi n°62[9].

Un autre Châtillonais, Julien Israël fait également partie de la liste de ce convoi. Nous savons de lui qu’il était né à Koenigsmacker. Frère de Erna Kahn, agé de 38 ans, berger de profession, il avait également été contraint de s’installer à Châtillon suite à l’évacuation des Mosellans en 1939[10].

A la fin de 1943, une seule famille juive domiciliée à Châtillon-sur-Seine demeurait encore sur les listes de la police : la famille Rueff.
Noé Rueff, dit Jules, était né en 1876 à Pfastatt, près de Mulhouse. Sa femme Jeanne, alsacienne également, était née à Strasbourg en 1888.

Le couple s’était installé, au cours des années 1910, à Châtillon, où Jules Rueff a fondé un commerce de chaussures.

Leurs quatre enfants, René, Henriette, Raymond et Roger, naîtront à Chatillon en 1909, 1911, 1915 et 1917[11].

Roger, le cadet, deviendra instituteur. Sa carrière sera brusquement interrompue en avril 1943 lorsqu’il est démis de ses fonctions parce que juif. Il enseignait alors à la Roche-en-Brenil[12] dans le Morvan.
Suite aux arrestations successives des Juifs de Châtillon, y compris les enfants, les Rueff quittent alors la ville pour rejoindre leur fils Roger à la Roche-en-Brenil[13], leur fils aîné René, un ouvrier minier de 34 ans, les y rejoint.
Jeanne et Jules Rueff, ainsi que leurs fils Roger Antoine et René Jacques ont été arrêtés en février 1944[14]. Transférés à Drancy, ils ont été déportés par le Convoi n ° 69[15], du sept mars 1944.

C’est ainsi que Châtillon-sur-Seine a perdu douze de ses habitants durant la Shoah, certains y étaient nés : trois familles disparues, assassinées sans laisser de trace, parce qu’ils étaient nés et désignés comme juifs.
Ils étaient menuisier, commerçant, berger, instituteur ou écolier…

"Nous remercions tous ceux qui ont permis que leurs histoires de vie aient été retrouvées et que leurs noms soient gravés et ainsi inscrits dans la mémoire et l'histoire de Châtillon sur Seine. Nous tenons à vous remercier, monsieur le Maire, d'avoir ainsi permis qu'ils rejoignent la communauté des humains, dont les nazis avaient voulu les effacer.
Je me permets de vous proposer quelques instants de réflexion et de silence à leur mémoire.

(Photo L. Delacomptée)












[1] ADCO* 1090W41
[2] ADCO 1090W34
[3] ADCO 1090W41
*ADCO : Archives Départementales de la Côte d’Or
[4] Le mémorial de la déportation des juifs de France. Serge Klarsfeld
[5] ADCO 1090W41
[6] ADCO 1090W41
[7] ADCO 1090W41
[8] CDJC* F/9/5742 Drancy, F/9/5681 Drancy
[9] Le mémorial de la déportation des juifs de France. Serge Klarsfeld
[10] ADCO 1090W34
*CDJC : Centre de Documentation Juive Contemporaine
[11] Mairie de Châtillon sur Seine
[12] ADCO 1090W36
[13] ADCO 1090W36
[14] ADCO 40M461
[15] Le mémorial de la déportation des juifs de France. Serge Klarsfeld

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